Article du vendredi 8 février 2008

 

Jardins : la greffe créatrice de nouvelles espèces

 

Jean-François Bourlès, pomologue passionné, fait un tour d'horizon des greffes d'exception. Entretien avant une séance de taille des arbres fruitiers demain au musée du Revermont


>> Vous greffez pour reproduire des variétés de fruitiers méritantes, mais quels sont les autres usages de la greffe ?
La greffe permet par exemple l'ajout d'une branche de sexe mâle sur un plant de kiwis femelle, ou l'inverse : des branches femelles, donc porteuses de fruits, sur un pied mâle.
La greffe permet aussi la reproduction des mutations qui peuvent apparaître au hasard dans la nature. Certains arboretums collectionnent ces végétaux issus de mutations, qu'ils regroupent dans un « Bizaretum » avec des arbres pleureurs, des arbres rampants ou tortueux, des feuillages frisés ou panachés, etc.

>> Avez-vous fait l'expérience de telles greffes ?
Oui, à partir d'un balai de sorcière trouvé dans les bois, j'ai obtenu un châtaignier qui reste nain. Un balai de sorcière est un foisonnement de brindilles qui ressemble à un « nid de pie » quand il est érigé, ou à une « queue de cheval » quand il est pleureur. Les beaux bourgeons qui peuvent être greffés sont en général difficiles à extraire, mais le résultat est toujours surprenant. Beaucoup de conifères « bonsaï » sont issus de balais de sorcière de conifères.

>> Quelle en est l'origine ?
Il faut qu'un bourgeon naisse d'une cellule qui a « muté », c'est-à-dire une cellule dont le patrimoine génétique a été modifié, peut-être par un virus, ou des radiations, ou même un produit chimique comme un pesticide. Il faut que cette mutation soit viable, qu'elle soit observable et observée, enfin qu'elle soit isolée sous la forme d'un greffon et reproduite par le greffage.
Pour trouver une mutation, il faut avant tout être observateur et à l'affût d'une feuille, d'une branche, d'un fruit ou d'une fleur qui sont différents.

>> Quelles sont les autres curiosités que vous multipliez par la greffe ?
Des « chimères de greffe » comme le cytise d'Adam ou l'épine-néflier de Bronvaux. Les chimères sont des végétaux dont les tissus sont un mélange de deux patrimoines génétiques. D'une greffe « loupée » ou décapitée, peut naître une branche qui est une mosaïque des cellules du greffon et des cellules du porte-greffe.
C'est le cas du cytise d'Adam qui fut « trouvé » en 1825 par M. Adam dans sa pépinière, et qui mixe des cellules du cytise aux fleurs jaunes et d'un genêt aux fleurs pourpre. Un greffon du cytise d'Adam donne des feuilles plus grandes que celles du cytise de nos jardins et aussi des fleurs roses. Les arbres, en vieillissant, peuvent avoir çà et là quelques branches qui donnent des fleurs jaunes et de très rares « touffes » de genêt aux fleurs pourpres. Seules les fleurs jaunes donnent des graines de cytise commun ; quant aux fleurs roses, elles sont stériles.
Enfin, il est des greffes qui peuvent sembler extraordinaires, mais qui sont parfaitement connues des anciens, comme l'olivier au feuillage persistant que l'on peut greffer sur le frêne commun au feuillage caduque.

Propos recueillis par Agnès Ducaroy



Tous droits réservés. © Le Progrès 2008